Déphasage #134 – 18.01.17
Playlist=
1/ Olivia Block - Dissolution A (Dissolution/Glistening Examples/Nov 2016)
2/ Mica Levi & Oliver Coates - Bless Our Toes (Remain Calm/Slip/Nov 2016)
3/ Mica Levi & Oliver Coates - Dolphins Climb Onto Shore For The First Time (Remain Calm/Slip/Nov 2016)
4/ farmersmanual - loop der.ii (fsck/Tray/1997)
5/ farmersmanual - klopp01.proc (fsck/Tray/1997)
6/ farmersmanual - frog dies in sunlight (fsck/Tray/1997)
7/ farmersmanual - 364 (fsck/Tray/1997)
7/ farmersmanual - 368 (fsck/Tray/1997)
8/ Spring Heel Jack - Chorale (Masses/Thirsty Ear/2001)
9/ Spring Heel Jack - Salt (Masses/Thirsty Ear/2001)[Timothée]
Olivia Block vit et travaille principalement à Chicago avec 16 oeuvres à son actif, dont les premières remontent à 1998. Chacun de ses travaux propres à ses éléments d’expression, elle dirige ses intérêts sur des spécificités locales ou ethnographiques.
Également familière des eaux académiques, elle est cité dans de nombreuses grandes écoles de musique à Chicago et anime par intermittence quelques conférences en université. Lors de concerts elle installe le principe de «cinéma sans visuels», place des auditeurs assis dans une pièce sombre, devant un écran noir, avec seul l’ouïe comme sens stimulé.
L’observation de la communication humaine face à l’essor des technologies passées ou présentes semblent constituer les motivations de Olivia Block pour le projet. Radio à ondes courtes, communications captées par ondes, bulletins municipaux et fragments de cassettes, sont touchés du doigt pour traiter l’échange humain dans sa chronologie.
Plus la désintégration de ces matériaux opère, plus les voix et les environnements se ressemblent. Des voix hésitantes, effrayées, pressées, frustrées, politiques ou professionnelles finissent par précéder ronflements, sifflements, clic et échos. Ceux-ci sont prix en mouvement dans un flux oscillant entre simple matières sonore et éléments anecdotiques.
Essayer de répertorier les éléments de «Dissolution», c'est comme essayer de reconstituer une image d'une civilisation contemporaine à partir de ses traces déjà ruinées; Il semble que tous ces miettes brisées de ces communication devraient se rassembler pour former une image cohérente. La couverture d’album est une maison partiellement éffrondrée; à prendre comme métaphore apte à décrire cette musique sur plus d’un aspect : le sentiment de familiarité au milieu des ruines; le remodelage de la mémoire déclenchée par le quotidien ordinaire souvent ennemi de la création.
[Antoine]
Utiliser un instruments comme le violoncelle aujourd’hui dans une composition relève d’un sacré défi pour arriver à extirper un tant soit peu d’intérêt sonore et musicale, sans tomber dans le pathos gratuit. Pourtant les deux artistes de ce soir ont à eux deux en solo et en duo réussi la prouesse d’attirer les oreilles en quête de nouveautés. Mica Levi et Oliver Coates, tout deux britanniques issues d’une formation classique, mais comme à l’accoutumée, les sujets de sa majesté aiment sortir des sentiers battus (et là je fais un clin d’oeil à l’académisme mortifère français).
La première évolue aussi bien dans la sphère pop de traverse avec son groupe Micachu & The Shapes que dans la composition de bande-originale, du film Under The Skin par exemple où elle utilise justement les cordes d’une manière inouïe dans un contexte pseudo électronique. C’est d’ailleurs là qu’elle rencontra Oliver Coates, violoncelliste et compositeur de BO également, faisant partie du London Contemporary Orchestra qui a travaillé avec Radiohead pour leur dernier album.Autant dire que les deux ensemble donnent un résultat qui transcende toutes les étiquettes, mais qui crée pourtant son identité. On est enfin sorti du Modern Classical, on ne veut plus de Noise ni de Drone, encore moins de Techno et de House démodées, du Minimalisme peut être mais pas trop. Ce que l’on veut c’est déconstruire tout cela, ce que l’on veut c’est un son d’aujourd’hui, un son de 2017, et « Remain Calm » peut très bien en être un bel exemple.
[Simon]
Collectif audiovisuel Viennois formé au début des années 90, farmersmanual, sans espaces ni majuscule (pour une meilleure intégration internet), cultive le mystère, même dans le contexte d’anonymat général qui règne alors sur la musique électronique.
Touché par la fascination collective de cette période pour l’informatique à l’aube de son explosion, le collectif multimédia propose une musique énigmatique, tout en fragmentation, au caractère accidentel, voir incontrôlé, que l’on devine issue de complexes processus aléatoires.
L’utopie internet, ce nouveau territoire vaste et virtuel qui excite alors, inspire et fait rêver, intangible jungle chiffrée où tout semble permis, est encore vierge des gros propriétaires, qui finissent aujourd’hui sa déforestation brutale et sa privatisation.
Maintenant le flou artistique sur leurs méthodes de travail, les membres du collectif insistent sur la partie informatique de leur production, considérant par exemple leur site comme une émanation aussi importante de leurs efforts que la musique elle-même. La musique de fsck est faite par les machines, autant qu’avec elle. Elle n’a pas de forme prédéterminée, pas de durée précise, pas de début ni de fin logique, il s’agit d’un flux intarissable dont ils présentent quelques courts extraits au public, sous la forme de disques ou de concerts, quelques moments capturés et rendus audibles, tandis que se poursuit en interne son déroulement sans sommeil.
Explorant les possibilités du format CD-rom, nouveauté élue, promis à un brillant avenir, ils ajoutent à leurs albums des contenus multimédia, et jouent des possibilités de l’index numérique comme sur Explorer’s we, indexé arbitrairement toutes les soixantes secondes, qui encourage à la lecture aléatoire. Leur site internet bénéficie également d’un soin particulier, avec de nombreuses possibilités d’interaction et une attention donnée au graphisme.
La musique de fsck, faite de glitch et de bruits, de breaks squelettiques déconstruits au delà du rythme, a su résister à l’épreuve du temps, du fait de son étrangeté singulière et de la capacité qu’elle a eu à s’infuser dans la suite de l’histoire de la musique électronique.
En revanche, le reste du discours artistique de farmersmanual fait rétrospectivement penser au park d’attraction de Prypiat, ou aux innombrables mondes virtuels des jeux massivement multijoueurs qui tombent désormais à l’abandon. Incroyablement vide et statique, et d’une tristesse ahurissante, qu’il s’agisse du gris du béton irradié, de la peinture écaillée d’une grande roue qui ne tournera plus, ou d’un programme sénile qui se répète en boucle encore et encore, animant un dernier personnage de pixel mal défini jusqu'à ce que son support physique finisse enfin par mourir.
Le site de farmersmanual, dont la dernière mise à jour date de 2007, est un témoin nostalgique et figé d’une antiquité numérique dorée, victime d’une obsolescence ultrarapide. Pendant ce temps, toujours, partout, continuent de naître et de mourir les illusions, les utopies et l'innocence dans les yeux des enfants.
[Quentin]
Spring heel jack est un duo anglais qui a vu le jour dans les années 90 et qui fit ses balbutiements dans la sphère drum'n'bass et jungle de l'époque. Après plusieurs albums le duo change radicalement de direction avec Masses, sorti en 2001 sur le label Thirsty ear.
Les rythmes foisonnants et les lignes de basses épaisses sont mis de cotés, on quitte alors les quatre murs délimitant une surface destinée à laisser s'exprimer la fougue de nos membres pour un espace beaucoup plus vaste. La création de cet album s'est déroulé suivant deux étapes. D'abord Ashley Wales et John Coxon ont concocté de longues plages sonore volontairement épurées, où évoluent des textures granuleuses, parsemées de sons concrets plus ou moins dégradés, nous donnant à entendre une matière en proie à une lente décomposition. Ils ont ensuite invité quelques grandes figures du Jazz contemporain a venir improviser sur ces morceaux s'apparentant à des pages partiellement vierges. On retrouvera entre autres : Matthew Shipp, William Parker, Tim berne, ainsi qu'Evan Parker, fervent défenseur de la musique improvisée et fondateur de l'ElectroAcoustic Ensemble. Se dessine alors un free jazz mutant, où l'immédiateté du discours improvisé et le développement plus réfléchi des manipulations électroniques forment un équilibre périlleux. Chacune des pistes nous dévoile une ambiance propre, tantôt intimiste, tantôt électrique, proposant à l'auditeur une palette de couleurs riche et varié. Libéré des contraintes imposé par le dance-floor, Spring Heel Jack & Cie court-circuitent le temps en injectant la chaleur primitive du free jazz à l'implacable précision de la musique électronique, donnant à chacune un nouvel angle d'admiration, pour le plaisir de nos gourmands tympans.